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L'abattage des animaux

L’abattage avec « étourdissement »

Depuis 1964, la réglementation impose que les animaux terrestres soient rendus inconscients au moment de la saignée, sauf dérogation pour les abattages rituels. Aujourd’hui, la pratique de cet « étourdissement » est pourtant loin de garantir une mort douce aux animaux : méthodes douloureuses, matériel pouvant être défectueux, et infractions courantes à la réglementation en vigueur sont monnaie courante.

Qu’est-ce que l’ « étourdissement » ?

En France et en Europe, les animaux terrestres (c’est-à-dire hors poissons) ne peuvent être abattus qu’après un « étourdissement » préalable1. Ce terme d’« étourdissement » désigne divers procédés qui ont pour but de rendre les animaux inconscients et insensibles à la douleur au moment de la saignée, et ce jusqu’à ce que la mort survienne2, 3, 4.

Qu’on ne s’y trompe pas : si le mot « étourdissement » est parfois confondu avec « endormissement », il désigne une réalité des plus brutales, les méthodes actuellement pratiquées étant le choc électrique (pour les volailles, moutons, chèvres, lapins et une partie des cochons), la perforation de la boîte crânienne (pour les bovins et les chevaux), et l’asphyxie au gaz (pour une partie des cochons et des volailles). Aucune de ces méthodes ne permet de garantir un abattage indolore de tous les animaux5. Et certaines sont même systématiquement longues et douloureuses (voir partie suivante).

Une dérogation à cette obligation d’étourdissement est également prévue pour les abattages rituels casher et halal6, depuis l’origine de l’obligation d’étourdissement en 1964.

Lire « L’abattage sans étourdissement »

Lire « Abattage rituel, avec ou sans étourdissement ? »

Des méthodes longues et douloureuses

Selon les textes, l’étourdissement doit être, par définition, immédiat7 et indolore8.

Pourtant, plusieurs méthodes d’étourdissement reconnues comme longues et/ou douloureuses par la communauté scientifique figurent dans la liste des méthodes d’étourdissement autorisées9.

C’est le cas du gazage au dioxyde de carbone des cochons, qui plonge les animaux dans une lente et douloureuse asphyxie. C’est aussi le cas du bain d’eau électrifié utilisé majoritairement pour les volailles, qui nécessite un accrochage des oiseaux par les pattes en pleine conscience.

Des avis officiels de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) recommandent l’abandon de ces deux méthodes10, 11. Pour autant, le règlement européen de 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort explique n’avoir pas retenu ces préconisations scientifiques, pour la seule raison qu’elles n’étaient pas économiquement viables !

En France, près de 800 millions d’oiseaux et plus de 3 millions de cochons13 sont ainsi « étourdis » chaque année selon des méthodes contestées par toutes les expertises scientifiques.

« Les recommandations afférentes à l’abandon progressif du dioxyde de carbone pour les porcins et des bains d’eau pour l’étourdissement des volailles ne sont pas retenues dans le présent règlement, l’analyse d’impact ayant révélé que ces recommandations n'étaient pas économiquement viables, à l’heure actuelle, dans l’Union européenne 12. »

Des infractions courantes au règlement européen

Chaque méthode d’étourdissement est encadrée par le règlement européen sur l’abattage, en vue de limiter les échecs et les reprises de conscience en cours de saignée. Dans la pratique, les différentes mesures du Règlement sont relativement mal appliquées, si bien qu’une part non négligeable d’animaux sont encore conscients alors qu’ils sont suspendus par les pattes à la chaîne d’abattage.

État et paramétrage du matériel

Un facteur important d’échec de l’étourdissement concerne le matériel utilisé : son caractère approprié à l’espèce abattue, son état d’entretien et les paramétrages effectués. Des règles existent à ce sujet14 et sont couramment enfreintes : il arrive en particulier que le matériel présente des défaillances, ou que les employés ne sachent pas s’en servir. Par exemple, l’EFSA a estimé en 2004 que 4 % des étourdissements des bovins n’étaient pas réalisés de manière correcte, pour cause de pistolet mal entretenu, mal positionné, ou de cartouches inadaptées15. Quant aux volailles, l’Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV) a carrément relevé de mauvais paramétrages d’étourdissement dans tous les abattoirs auditionnés16 !

Contrôle de l’inconscience et ré-étourdissement des animaux mal étourdis

Ensuite, l’absence de vérification de l’inconscience, et le non ré-étourdissement des animaux mal étourdis contribuent également à ce que des animaux se retrouvent égorgés en pleine conscience.

Les employés d’abattoir devraient en effet être capables de réaliser et de reconnaître un étourdissement efficace17. Ils devraient également vérifier la perte de conscience effective des animaux après étourdissement, et utiliser un système d’étourdissement ou de mise à mort « de secours » en cas de reprise de conscience des animaux sur la chaîne d’abattage18.

En pratique, des audits réalisés par l’OAV dans les abattoirs français en 201319 et 201520 ont révélé que les contrôles de l’inconscience sont en réalité extrêmement rares, et que les animaux mal étourdis sont rarement étourdis une deuxième fois comme l’exige la réglementation. C’est également ce que nous avons pu constater lors de toutes nos enquêtes en abattoirs.

Aussi, comme l’expliquent les experts de l’INRA21, le contrôle de l’inconscience est particulièrement complexe à établir. Il nécessiterait une observation minutieuse et individuelle des animaux, combinant plusieurs critères. Il s’agit par exemple de vérifier le réflexe cornéen (clignement de la paupière au toucher de la cornée), mais aussi la présence de respiration, de relevés de tête ou de cris.

Pourtant bien souvent, comme à l’abattoir d’Alès, les employés se contentent de coups de pieds pour tester la réaction des animaux, une méthode qui n’est bien évidemment pas répertoriée dans les différents moyens de s’assurer de l’inconscience d’un animal.

Temps d’attente avant la saignée

Enfin, la réglementation exige que la mise à mort survienne « aussitôt que possible » après l’étourdissement22 pour limiter les risques de reprise de conscience, et des délais maximums entre étourdissement et saignée sont indiqués par l’EFSA pour chaque espèce23. L’employé chargé de la saignée devrait alors l’effectuer « de manière à provoquer un saignement rapide, profus et complet », « par incision d’au moins une des deux artères carotides » de l’animal24.

En pratique, il est fréquent de constater des délais entre l’étourdissement et la saignée bien plus longs que ceux préconisés. À l’abattoir d’Alès, nous avons par exemple révélé que l’intervalle entre l’étourdissement et la saignée des chevaux était bien supérieur aux 41 secondes maximales préconisées par l’EFSA. Des chevaux montraient alors des signes de reprise de conscience flagrants lors de l’accrochage et la saignée, sans qu’à aucun moment les employés ne réalisent un étourdissement de secours.

Pour les animaux, un échec d’étourdissement est toujours synonyme de cumul de souffrances. En ce qu’il implique une suspension par les pattes et une saignée en pleine conscience, mais aussi des douleurs supplémentaires causées par la tentative d’étourdissement (crâne perforé, décharge électrique…), il peut rendre la mise à mort pire encore que lors des abattages rituels sans étourdissement.

En tout état de cause, l’abattage des animaux peut être source de souffrances, même lorsqu’il est réalisé avec étourdissement. Entre les manipulations brutales nécessaires à l’amenée des animaux dans les dispositifs de contention, le stress et la peur, la fréquence des échecs d’étourdissement et les reprises de conscience sur la chaîne d’abattage, les abattoirs restent, quoi qu’il en soit, des lieux fondamentalement violents pour les animaux.

Sources