Un système qui pousse à l’utilisation massive d’antibiotiques
Les antimicrobiens, dont font partie les antibiotiques, sont des médicaments utilisés pour prévenir et traiter les infections chez les êtres humains, les animaux ou les végétaux. Dans les élevages intensifs, des antimicrobiens sont utilisés massivement pour tenter de faire face aux maladies favorisées par les fortes densités, l’environnement appauvri et la faible variabilité génétique.
En 2023, en France, 275 tonnes de matière active antibiotique ont été administrées aux animaux d’élevage, dont 21 % aux cochons1. Malgré une baisse récente, surtout en 2021 et 2022, l’élevage de cochons est le deuxième consommateur d’antibiotiques, avec 58 tonnes en 2023 (contre 140 en 2019)2. Même en ramenant cette quantité à leur poids, les cochons restent les deuxièmes animaux d’élevage les plus exposés aux antibiotiques après les lapins3.
Or, les antibiotiques distribués massivement aux animaux d’élevage sont de moins en moins efficaces. En effet, à long terme, les bactéries deviennent résistantes, et risquent d’être transmises aux humains et de générer des infections extrêmement complexes à soigner : c’est l’antibiorésistance. Les risques qui y sont liés sont de plus en plus préoccupants. En l’espace de 18 ans (entre 2000 et 2018), dans une large partie du monde, la proportion d’antibiotiques devenus inefficaces sur les cochons d’élevage a triplé4.
En France, l’antibiorésistance est déjà la cause de plus de 5 500 décès par an5. Si rien ne change, les maladies infectieuses d’origine bactérienne pourraient redevenir en 2050 l’une des premières causes de mortalité dans le monde, provoquant jusqu’à 10 millions de morts6. Des experts prévoient qu’en 2050, l’antibiorésistance pourrait tuer une personne humaine toutes les 3 secondes7.
Pourtant, dans les élevages intensifs de cochons, même des antibiotiques tels que l’amoxicilline ou la colistine sont utilisés, alors que ces deux molécules sont classées « d’importance critique » (la catégorie la plus haute) par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en raison des risques d’antibiorésistance pour la population humaine8.
Les conséquences désastreuses des émissions d’ammoniac liées à l’élevage de cochons
De plus, l’élevage participe gravement aux émissions d’ammoniac (NH3), produit par les effluents d’élevage. Les élevages de cochons, en particulier, en sont de gros émetteurs d’ammoniac (NH3), en raison des énormes quantités de lisier produites. L’ammoniac affecte la santé des éleveurs de cochons, davantage touchés que le reste de la population par les affections respiratoires, en particulier l’asthme et les bronchites chroniques9.
Une fois dans l’atmosphère, il se combine avec les oxydes d’azote issus du trafic routier et des activités industrielles. Cette combinaison forme alors d’autres polluants, comme les nitrates d’ammonium, qui sont des particules fines. Avec un temps de résidence dans l’air plus long que celui de l’ammoniac, les nitrates et sulfates d’ammonium altèrent la santé cardiovasculaire et accroissent les risques de mortalité en général. À long terme, ils ont un impact sur la santé périnatale10.
Au niveau environnemental, les conséquences sont également lourdes, puisqu’en retombant, ces nitrates d’ammonium contribuent à acidifier les sols et l’eau. On assiste alors à la prolifération de certaines algues, parfois toxiques, à la diminution de l’oxygène, puis à la disparition progressive des plantes et animaux aquatiques : c’est l’eutrophisation11, phénomène qui survient lorsque la quantité d’ammoniac convertie en nitrate d’ammonium est très importante12.
En France, les émissions d’ammoniac sont à 97 % d’origine agricole, dont 75 % proviennent des élevages, ce qui fait de la France le second pays émetteur d’ammoniac en Europe13. Sans surprise, la France est particulièrement touchée par l’eutrophisation, qui est également responsable de la prolifération des algues vertes, particulièrement sur les côtes bretonnes.
Huit baies de Bretagne concentrent la majorité des échouages régionaux d’algues vertes. La baie de Saint-Brieuc concentre à elle seule près de 90 % de la surface d’algues échouées observées. Dans ce contexte, les plages sont régulièrement fermées au public pour éviter les intoxications au sulfure d’hydrogène, un gaz toxique et rapidement mortel qui se dégage quand les algues se décomposent. Depuis 2010, le ramassage et le traitement des algues vertes ont coûté à eux seuls plus de 24,7 millions d’euros sur un total de 243 millions d’euros d’argent public dépensé au fil des plans de lutte14.
Les algues vertes sont suspectées d’être la cause de plusieurs drames ces quarante dernières années en Bretagne.
- 1989 : un joggeur meurt sur la plage de Saint-Michel-en-Grève.
- 1999 : un ramasseur d’algues tombe dans le coma.
- 2008 : deux chiens meurent sur la plage d’Hillion.
- 2009 : Thierry Morfoisse, transporteur d’algues, décède.
- 2009 : un cheval meurt et son cavalier est intoxiqué.
- 2011 : 36 sangliers meurent dans l’estuaire du Gouessant à Morieux.
- 2016 : un joggeur trouve la mort à l’embouchure du Gouessant.
Au niveau mondial, l’élevage est actuellement responsable de 25 % de l’acidification des sols et de 74 % de l’eutrophisation des espaces aquatiques15. Il est également responsable de plus de 15 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’origine humaine (21 % quand on inclut la déforestation)16. De manière générale, la production de produits d’origine animale est responsable de plus d’émissions de GES que celle de n’importe quelle autre source de nourriture.
Des charcuteries aux nitrites
Les nitrites sont des additifs utilisés dans les charcuteries pour leur conservation et pour leur donner une couleur rose attrayante (sans cela, elles seraient grises). Des travaux de recherche, menés notamment par l’INRAe (Institut national de la recherche agronomique), ont cependant montré dès 2010 que ces additifs pouvaient avoir un impact négatif sur la santé humaine, notamment concernant le risque de cancer colorectal.
L’industrie de la charcuterie déploie d’importants efforts pour esquiver toute contrainte sur le sujet. L’Académie d’agriculture sème le doute dans l’esprit des consommateurs en trouvant des vertus aux nitrites. La presse professionnelle va jusqu’à dire que « la science s’est complètement renversée à l’échelle internationale vis-à-vis des nitrates et de la santé »17.
La bataille est également menée sur le terrain judiciaire. L’application Yuka a été attaquée en justice en 2021 par la FICT (Fédération des industriels charcutiers traiteurs) pour « dénigrement », « pratiques commerciales déloyales » et « trompeuses », pour avoir mis en valeur une pétition avec FoodWatch et la Ligue contre le cancer demandant l’interdiction des nitrites, et pour avoir baissé la note des charcuteries en raison de la présence de nitrites. En juin 2023, la cour d’appel de Paris a débouté la FICT de l’ensemble de ses plaintes vis-à-vis de Yuka.
Selon l’Anses, « certains fabricants utilisent des extraits végétaux ou des bouillons de légumes comme substituts aux additifs nitrités. Cela ne constitue pas une réelle alternative dans la mesure où ils contiennent naturellement des nitrates qui, sous l’effet de bactéries, sont convertis en nitrites. Ces produits ne permettent donc pas une diminution réelle de l’exposition aux nitrites », alors même qu’ils peuvent porter la mention « sans nitrites ajoutés »18.
En fin de compte, plus de 12 ans ont été nécessaires pour que l’Anses confirme, dans un rapport publié le 12 juillet 2022, qu’il existe bien une « association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates ». Le gouvernement demande aux industriels de réduire les teneurs, mais ne leur fixe pas d’interdiction19.
Lors de l’été 2023, l’Europe a discrètement interdit l’ajout de nitrite de sodium dans les croquettes et pâtées pour chiens et chats. À ce jour, il reste autorisé dans la charcuterie à destination des humains20.
1. Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), 2019. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2023, novembre 2024, 122 p. (p. 16).
1. Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), 2019. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2023, novembre 2024, 122 p. (p. 16).
2. Anses, 2019. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2023, novembre 2024, 122 p. (p. 16).
3. Anses, 2019. Suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2023, novembre 2024, 122 p. (p. 16).
4. Van Boeckel T. P et al., 2019. « Global trends in antimicrobial resistance in animals in low- and middle-income countries », Science, vol. 365, issue 6459.
5. Ministère de la Santé et des Solidarités, « L’antibiorésistance : pourquoi est-ce si grave ? », article mis à jour le 12 septembre 2019, [En ligne].
6. Ministère de la Santé et des Solidarités, « L’antibiorésistance : pourquoi est-ce si grave ? », article mis à jour le 12 septembre 2019, [En ligne].
7. O’Neill J. (dir.), 2016. « Tackling Drug-Resistant Infections Globally, Final Report and Recommendations », The Review on Antimicrobial Resistance, 80 p. (p. 72).
8. OMS (Organisation mondiale de la santé), 2016. Critically Important Antimicrobials for Human Medicine, 5th Revision 2016, Ranking of medically important antimicrobials for risk management of antimicrobial resistance due to non-human , 48 p. (p. 26-27).
9. ADEME, CITEPA, 2013. « Analyse du potentiel de 10 actions de réduction des émissions d'ammoniac des élevages français aux horizons 2020 et 2030 », [En ligne].
10. Airparif, 2022. Nitrates et sulfates d'ammonium, [En ligne].
11. Portejoie S. et al., 2002. « L’ammoniac d’origine agricole : impacts sur la santé humaine et animale et sur le milieu naturel », INRA Productions animales, 15 (3), p. 151-160.
12. AtmoBFC, 2024. L’ammoniac atmosphérique. De la caractérisation des sources aux leviers d’actions pour réduire les émissions. Février 2022 à avril 2023, 94 p. (p. 14).
13. ADEME, CITEPA, 2013. « Analyse du potentiel de 10 actions de réduction des émissions d'ammoniac des élevages français aux horizons 2020 et 2030 », [En ligne], 240 p. (p.14, p. 12).
14. Colin G., 2024. « Depuis 2010, 243 millions d’euros publics mobilisés pour lutter contre les algues vertes en Bretagne », Ouest-France, 1er juillet 2024.
15. Poore J., Nemecek T., 2018. « Reducing food’s environmental impacts through producers and consumers », Science, n° 360, p. 987–992.
16. GIEC (Groupement international d’experts sur le climat), 2018. Global Warming of 1.5°C: an IPCC special report on the impacts of global warming of 1.5 °C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty, 630 p.
17. Anses, 2022. Réduire l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation, [En ligne].
18. Anses, 2022. Réduire l’exposition aux nitrites et aux nitrates dans l’alimentation, [En ligne].
19.
20. France info, 2023, « Alimentation : les nitrites interdits dans la nourriture pour animaux, mais pas pour les humains ».