Silence judiciaire sur la souffrance animale et les atteintes environnementales
Le tribunal administratif de Lille vient de rejeter le recours déposé par les associations L214 et FLANER contre l’arrêté du préfet du Nord, autorisant ainsi un élevage intensif de 117 000 poulets à Steenwerck.
Cette décision entérine une nouvelle fois l’expansion d’un modèle agricole destructeur et déconnecté des attentes sociétales, en fermant les yeux sur les manquements réglementaires et les atteintes aux animaux. L214 et FLANER étudient actuellement la possibilité de faire appel.
Rappel des faits : en 2018, à Steenwerck, dans le Nord, 21 000 poussins sont morts dans l’incendie d’un bâtiment d’élevage intensif appartenant à la société Warembourg. Courant 2020, les exploitants ont souhaité reprendre leur activité et ont déposé en préfecture un projet encore plus imposant que l’exploitation de départ : 117 000 poulets sont prévus en élevage simultané, soit plus de 800 000 par an. Ce projet d’ampleur a été soumis à une enquête publique qui a permis aux habitants, aux associations ainsi qu’à la commissaire-enquêtrice d’exprimer leurs observations.
Les conseils municipaux de Steenwerck et de Sailly-sur-la-Lys, commune limitrophe, ont émis un avis défavorable au projet.
Également fortement opposés à ce futur élevage intensif, les riverains se sont mobilisés et ont créé l’association FLANER. Soutenue par l’association L214, sa pétition contre l’élevage a récolté plus de 79 000 signatures.
Au terme de l’enquête publique, la commissaire-enquêtrice a émis deux avis défavorables, un concernant l’autorisation d’exploiter et un autre concernant l’autorisation d’agrandir.
→ Lire le rapport complet de la commissaire-enquêtrice
Le préfet du Nord a malgré tout autorisé l’exploitation.
En 2021, par l’intermédiaire de leur avocat, L214, FLANER ainsi que des riverains ont déposé un recours contentieux visant l’annulation de cette décision. Suivant les conclusions de son rapporteur public prononcées à l’audience du 3 juillet, le tribunal a rejeté la requête.
Des arguments solides balayés d’un revers de main
Lors de l’audience, les associations ont concentré leur argumentation sur trois points majeurs :
- le caractère incomplet et lacunaire du dossier de demande d’autorisation de l’élevage ne permettant pas une évaluation complète des impacts du projet ;
- les carences et erreurs manifestes de l’étude d’impact, compromettant l’analyse environnementale exigée par la réglementation ;
- les risques du projet : pollutions, nitrates, air, odeurs, bruits… (Art. L511-1 Code de l’environnement).
Ces éléments n’ont pas été jugés suffisants, ni par le rapporteur public, ni par le tribunal, pour justifier une annulation de l’arrêté préfectoral.
En clôturant l’audience, la présidente du tribunal a reconnu la légitimité des attentes des requérants, qu’elle considère en phase avec les demandes citoyennes. Néanmoins, elle a estimé que le projet serait conforme au cadre légal actuel.
Ce jugement illustre donc un paradoxe criant : la justice reconnaît l’évolution des attentes sociétales, mais confirme que le droit en vigueur continue de protéger l’élevage intensif, y compris lorsque ses pratiques sont éthiquement discutables et écologiquement nuisibles.
Les associations L214 et FLANER ne se contenteront pas d’un statu quo et vont étudier la possibilité de faire appel de ce jugement.
Les élevages intensifs de poulets : une aberration pour les animaux
L214 alerte depuis de nombreuses années sur les maltraitances inhérentes aux élevages intensifs, qui enferment aujourd’hui 80 % des poulets abattus en France. Confinés dans des bâtiments sans accès à l’extérieur et entassés les uns sur les autres, ils souffrent de maladies, de malformations et de douleurs aux pattes liées à leur croissance ultrarapide. Les races utilisées ont été créées pour que les oiseaux grossissent le plus vite possible (4 fois plus rapidement qu’en 1950), au détriment de leurs conditions de vie et de leurs besoins physiologiques.
Un désastre environnemental et un risque sanitaire
Les élevages intensifs de poulets génèrent chaque année des centaines de tonnes de fumier, épandues dans une région déjà classée zone vulnérable aux nitrates. Ces pratiques polluent les nappes phréatiques, contaminent les cours d’eau, détériorent la biodiversité et contribuent aux émissions de gaz à effet de serre.
Ce modèle fondé sur l’entassement d’animaux, la sélection génétique extrême et les cycles de production accélérés favorise l’explosion de foyers pathogènes, augmente les risques de zoonoses et accélère l’antibiorésistance.
Pour Maître Jean-Christophe Ménard : « C’est un jugement particulièrement décevant qui ne tient compte ni des nombreuses insuffisances du dossier déposé par l’exploitant, ni de l’avis défavorable de la commissaire enquêtrice. Les requérants envisagent très sérieusement de faire appel. »
Pour Sébastien Faureau, président de l’association FLANER : « Nous sommes très déçus de cette décision qui va dans le sens de l’élevage intensif. Nous allons réfléchir aux actions éventuelles à mener à la rentrée. »
Pour Isabelle Fernandez, porte-parole de l’association L214 : « Les enjeux sanitaires, environnementaux et les conditions de vie des animaux appellent à tourner la page de l’élevage intensif. Ce mode d’élevage, pourtant décrié, continue de s’étendre en France, encouragé par les pouvoirs publics. En témoigne la loi Duplomb, qui prévoit notamment de simplifier l’implantation de nouveaux élevages intensifs. C’est inacceptable !
Pour faire face aux urgences sanitaires et environnementales, tout en épargnant des souffrances évitables aux animaux, il est impératif de réduire de moitié le nombre d’animaux tués pour l’alimentation en France d’ici 2030, plutôt que de poursuivre l’expansion de l’élevage intensif. »