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« Bien-être animal » : les gesticulations du gouvernement cachent un manque d’ambition et de volonté politique

Le 28/01/2020

Le ministre fait des annonces bien en-deçà des attentes sociétales

Les préoccupations des Français autour de la souffrance des animaux semblaient (enfin) avoir trouvé de l’écho auprès de l’exécutif : le ministre de l’Agriculture, M. Didier Guillaume, promettait en effet depuis plusieurs mois de « grandes mesures ». Personne ne se faisait d’illusion sur la probabilité d’annonces révolutionnaires, mais les mesures annoncées mardi 28 janvier 2020 (interdiction du broyage à vif des poussins et de la castration à vif des porcelets, encadrement du transport d’animaux vivants, étiquetage, centre de référence bien-être animal) ne sont assurément pas à la hauteur de l’attente sociétale en matière de « bien-être animal ». Un renoncement, dicté par la pression des lobbies, qui a finalement conduit le gouvernement à faire une simple opération de communication à l’approche des élections municipales.

Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « Même si le ministre pouvait sembler avoir pris la mesure des attentes, rien de bien nouveau n’apparaît dans ces annonces, sa réponse est décevante. Il ne s’attaque pas aux problèmes de fond, notamment au modèle agricole intensif et aux conditions d’abattage. Une situation qui perdurera tant que les conditions d’élevage et d’abattage resteront dans le périmètre du ministère de l’Agriculture. » »

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« Aller loin comme jamais ? »

Les informations étaient subtilement distillées dans la presse depuis la fin du mois d’août : la rentrée serait enfin l’occasion d’avancer sur la condition animale. Pour ouvrir le bal, M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, assurait dans une tribune porter « une attention redoublée au bien-être animal » (L’Opinion, 28/08/2019). Des intentions qu’il confirmait le lendemain : « nous allons annoncer des grandes mesures dans les semaines qui viennent avec le président de la République et le Premier ministre » (CNews, 29/08/2019). En effet, M. Emmanuel Macron « pousse le gouvernement à s’emparer du thème du bien-être animal » (Le Canard enchaîné, 09/10/2019). Initialement envisagée à la rentrée, la date des annonces avait été à nouveau repoussée : « ce sont des annonces que nous allons faire dans les semaines qui viennent. Novembre ou décembre… On verra ce qui se passera avec le Premier ministre et ce qui sera décidé. » (France Inter, 30/10/2019). Un nouveau report qui n’avait alors pas freiné le ministre dans son élan : « des annonces fortes sur le bien-être animal seront annoncées dans les prochains jours. Le gouvernement veut aller loin comme jamais. » (Le Monde, 05/12/2019).

Reconnaissant désormais que « l’animal d’élevage ou de compagnie est un être sensible » et « une grande attente sociétale en termes de bien-être animal » (Le Figaro, 28/01/2020), le ministre de l’Agriculture met fin à ce feuilleton avec la présentation de quinze « mesures pour la protection et l’amélioration du bien-être animal » (Conférence de presse, 28/01/2020). Il l’affirme : « cette marche est irréversible » (Bourdin Direct, 28/01/2020).

  • Fin du broyage des poussins mâles fin 2021 : « L’objectif c’est de forcer les entreprises, la recherche, à trouver des solutions » (Bourdin Direct, 28/01/2019). Cette initiative, issue de l’avancée de la recherche en matière de sexage in ovo, fait suite au travail initié par M. Stéphane Le Foll, attribuant alors plus de 4 millions d’euros pour développer le procédé (Politique & Animaux, 18/08/2015). M. Didier Guillaume et son homologue allemande ont par ailleurs déclaré vouloir mettre fin au broyage des poussins fin 2021 (Tweet de Didier Guillaume, 16/10/2019). L’interdiction effective de cette pratique constituerait une avancée, mais pour l’heure le ministre ne donne aucune précision sur le calendrier de mise en œuvre ni sur son inscription dans la réglementation. Le ministre ne s’est par ailleurs toujours pas exprimé sur l’interdiction éventuelle du broyage des canetons femelles.
  • « Fin 2021, il n’y aura plus de castration des porcelets à vif » (Bourdin Direct, 28/01/2020). Il y a quelques mois, en réponse à une question écrite de M. Loïc Dombreval, député des Alpes-Maritimes et président du groupe d’études Condition animale à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Agriculture soulignait que « la recherche d’alternatives à cette pratique est devenue une priorité » mais restait évasif sur l’option retenue (Journal officiel, 09/07/2019). Le flou, là aussi, demeure sur la mise en oeuvre de cette interdiction. Il s’agissait pourtant d’une demande de la Commission européenne pour mettre un terme à cette pratique au plus tard en 2018 (Ouest-France, 29/03/2017).
  • « La mise en place d’un étiquetage sur le bien-être animal à partir de l’année prochaine » qui indiquerait les conditions d’élevage et d’abattage, dont les œufs de poules en cage (Bourdin Direct, 28/01/2020).
    Alors qu’un amendement visant à rendre obligatoire l’étiquetage du mode d’élevage concernant les ovoproduits a été présenté en décembre, il a reçu un avis défavorable du gouvernement du fait qu’il ne soit « pas applicable, pas dans l’intérêt général, pas soutenu par le monde agricole ». (Le Monde, 05/12/2019) Il avait ainsi été rejeté par l’Assemblée nationale.
  • À propos de l’abattage rituel, le ministre a déclaré qu’il était aujourd’hui difficile de revenir sur la dérogation qui autorise à procéder à des abattages sans étourdissement. « Je discute moi, je discute ». C’est bien ce qu’on peut reprocher au ministre : des discussions interminables et aucune décision ferme quand bien même les avis sur les souffrances extrêmes endurées par les animaux sont unanimes. Par exemple, la Fédération des Vétérinaires Européens juge l’abattage sans étourdissement « inacceptable en toutes circonstances ».
  • Le ministre a formulé d’autres annonces : un vague renforcement de la formation bien-être animal dans l’enseignement agricole avec un référent par élevage qui n’est pas sans rappeler les responsables protection animale (RPA) dans les abattoirs dont la formation et l’efficacité sont fortement critiquées (Rapport de la Commission d’enquête sur les abattoirs, 2016) ou la saisie du centre de référence bien-être animal pour « objectiver les pratiques douloureuses et identifier les alternatives », dont L214 est délibérément exclue du comité consultatif (une configuration rappelant curieusement le Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb) qui se réunit depuis juin 2017, en l’absence de L214, alors que le travail d’enquête de l’association en est à l’origine). Les pratiques douloureuses sont clairement identifiées par les scientifiques, les vétérinaires et les rapports qui se succèdent. Les alternatives ne manquent pas non plus. Le gouvernement chercherait-il une nouvelle fois à repousser aux calendes grecques toute avancée significative en matière de « bien-être animal » ?

Alors que le gouvernement proclamait vouloir « aller loin comme jamais » pour les animaux, les annoncées dévoilées ce jour par le ministre manquent d’ambition et de volonté politique : une série de mesures déconnectées les unes des autres, sans plan d’action, ni projet d’inscription dans la loi, avec une impasse sur la sortie de l’élevage intensif et les conditions d’abattage. Un spectacle ressemblant fortement une séance de gesticulations à l’approche des élections municipales.

Les députés de la majorité attachés à l’ambition initialement affichée, à l’instar de Mme Aurore Bergé, députée des Yvelines et porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée nationale, pourraient s’en saisir : « Le ministre a dit qu’il ferait des annonces ; on les attend de pied ferme dès le mois de septembre et on souhaite aller plus loin avec notre proposition de loi. » (France Info, 21/08/2019).

Le gouvernement agit contre les animaux

Ces annonces arrivent dans un contexte dans lequel la condition animale ne semble pas encore considérée comme une question majeure par le gouvernement, avec un bilan peu reluisant depuis le début du quinquennat, à l’image de celui du ministre de l’Agriculture. Dès son arrivée au ministère, Didier Guillaume a démontré toute la pression exercée par les filières de l’élevage intensif, avec en premier lieu la FNSEA.

Prises de position de Didier Guillaume

→ Voir les prises de position de M. Didier Guillaume sur Politique & Animaux

Premier rendez-vous manqué par le gouvernement (dont M. Stéphane Travert était alors ministre de l’Agriculture), l’examen du texte issu des États généraux de l’alimentation, dont l’ensemble des amendements favorables aux animaux ont été rejetés, notamment ceux qui traduisaient des engagements de campagne du président de la République (mise en place du contrôle vidéo dans les abattoirs, fin des élevages de poules en cage), et ceux relatifs aux pires pratiques d’élevage et d’abattage (fin du broyage des poussins mâles, interdiction de la castration à vif). « En prenant la décision d’avancer à contresens de l’histoire, nos députés ont raté un rendez-vous : celui de l’engagement de notre société vers plus de justice et de compassion au bénéfice de tous. » (L214, 28/05/2018).

Suite à la révélation de l’enquête dévoilant le sort des vaches à hublot dans un centre privé d’expérimentation zootechnique, M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, et Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Écologie, ont défendu des expérimentations « utiles », « qui ne font pas souffrir l’animal »… Une fois de plus, « le gouvernement [vole] au secours de la productivité de l’élevage intensif » (L214, 27/06/2019).

Lors de la canicule de l’été 2019, le ministre de l’Agriculture annonçait le 27 juin avoir pris un arrêté la veille pour interdire le transport d’animaux, alors qu’aucun texte n’était publié au Journal officiel (Libération, 29/06/2019). Un arrêté moins exigeant était publié quelques semaines plus tard…

Au milieu de l’été, M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture en charge du « bien-être animal », et Mme Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, assistent à une corrida à Bayonne (Sud Ouest, 15/08/2019). Même si le ministre « regrette que ça ait pu choquer un certain nombre de citoyens qui sont contre ces pratiques » (Le Parisien, 19/08/2019), un profond décalage s’est installé entre le ministre et la société, amenant un collectif de personnalités et d’associations à demander le retrait de sa compétence « protection animale » (Libération, 12/09/2019).

L’interdiction de la construction de nouveaux bâtiments d’élevage de poules en cage ou de leur réaménagement (votée en 2018) a été discrètement vidée par une « instruction » envoyée aux directions départementales pour autoriser certains travaux (La Croix, 24/11/2019) : un nouveau recul autour d’une disposition déjà peu ambitieuse.

Alors que le ministre de l’Agriculture avait invité début octobre les organisations de défense des animaux membres du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) pour leur présenter ces « annonces », la réunion a finalement été reportée au 29/10/2019 pour consulter les filières (Agra Presse, 27/09/2019). Les ONG (CIWF France, Confédération nationale – Défense de l’animal, Fondation assistance aux animaux, Fondation Brigitte Bardot, Fondation 30 Millions d’Amis, Société protectrice des animaux, Fondation droit animal, éthique et sciences, Ligue française pour la protection du cheval, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs et Welfarm) dénoncent « l’ONG bashing » de M. Didier Guillaume, ainsi que « des mesures décidées unilatéralement, sans aucune concertation préalable [des associations] » (Communiqué de presse, 01/10/2019).

Malgré les pratiques révélées par L214 en décembre 2019 montrant le sort de milliers de canetons jetés vivants dans les poubelles d’un couvoir et le gavage des canards à la pompe pneumatique pratiquée par les apprentis d’un lycée agricole du Sud-Ouest de la France, le ministre de l’Agriculture n’a pas tenu à interdire à cette exploitation hors-la-loi de servir de centre de formation, et de lui retirer sa médaille d’or obtenue au Concours général agricole 2019. Aucune sanction n’a été appliquée, ni même une réaction à ce sujet.

Interrogé sur la mise en place d’un moratoire sur l’élevage intensif, M. Didier Guillaume affirmait qu’« il n’y a pas de fermes-usines » en France (Le Grand Jury RTL, 17/11/2019). Face aux conséquences dramatiques de notre modèle agricole et alimentaire sur les animaux, l’environnement, le partage des ressources, la santé publique, les conditions de travail des éleveurs et des salariés de l’agroalimentaire, plus de 200 personnalités et organisations, appuyées par près de 100 000 signataires, se mobilisent pour exiger des politiques ambitieuses de sortie de l’élevage intensif. Ils demandent « des actes, des mesures fortes et concrètes pour sortir de l’impasse » (Le Monde, 05/09/2019).

Candidat pour les élections municipales à Biarritz face à un autre membre du gouvernement, M. Didier Guillaume semble être plus préoccupé par son sort lors du scrutin de mars 2020 que par le triste sort des animaux dans les élevages et les abattoirs.

86 % des Français considèrent que les pouvoirs publics doivent s’occuper du « bien-être » des animaux d’élevage (Eurobaromètre, Commission européenne, 2016). Face à cette forte attente sociétale, la faiblesse des « grandes mesures » dévoilées par le ministre illustrent le manque d’ambition et de volonté politique du gouvernement en matière de « bien-être animal ».

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