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Chèvres

La courte vie des chevreaux

Avec presque 700 millions de litres de lait de chèvre produits chaque année, la France se targue d’être le premier producteur d’Union européenne1. Or, sans mises bas, pas de lactation. Donc sans chevreaux, pas de lait et pas de fromage. C’est ainsi qu’en 2017, plus de 1,3 million de chevreaux sont nés dans le seul but de faire produire du lait à leur mère2.

Considérés comme des sous-produits et traités comme tels

En élevage, les chèvres mettent bas une fois par an. Les chevreaux leur sont aussitôt retirés et la période de lactation commence. Au bout de 7 mois environ, elles subissent une nouvelle saillie puis cessent de produire du lait durant environ 2 mois : c’est la phase de tarissement. Un nouveau chevreau naît, la lactation reprend, et ainsi de suite jusqu’à la réforme des chèvres, c’est-à-dire leur envoi à l’abattoir, en moyenne à l’âge de 4 ans3. Dans sa vie, une chèvre met en moyenne au monde 5 chevreaux, qui lui sont tous retirés4

Une partie des chevreaux (des femelles) serviront à renouveler le cheptel laitier, à condition qu’elles grandissent assez vite et donnent naissance à leur premier petit dès l’âge d’un an5. Tous les autres chevreaux sont considérés comme des sous-produits de l’industrie laitière. Séparés de leur mère dès la naissance, ils sont envoyés à l’abattoir avant l’âge de 8 semaines6. Leur valeur économique à la naissance est dérisoire : de 1 à 2 euros par chevreau en 20227.

Selon un communiqué de la Confédération paysanne publié en janvier 2023, ces chevreaux sont devenus un tel « poids » que certains élevages font le choix de les tuer dès la naissance8. Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux de 2021 mentionne en effet des « euthanasies intempestives »9. Et rappelle que « l’euthanasie massive en élevage ne peut donc constituer une solution acceptable pour résoudre le  problème du nombre trop important de chevreaux à engraisser ». L’euthanasie pour « raison économique » n’est pas autorisée par l’article R214-78 du Code rural.

Expédiés pour 4 à 7 semaines dans des centres d’engraissement

80 % des chevreaux quittent l’élevage alors qu’ils ne sont âgés que de 3 à 8 jours. Les centres d’engraissement, qui effectuent eux-mêmes le « ramassage » dans les élevages, les entassent dans des camions. Certains élevages laitiers, cités dans le rapport du CGAAER, estiment que vu leur prix, ces animaux ne valent pas la peine qu’on leur consacre du temps : tant pis s’ils sont malades ou ne savent pas téter le jour du départ. 

Selon leur taille, ces centres engraissent de 1 500 à 70 000 chevreaux par an10. Très peu d’informations officielles circulent à leur sujet. Même pour la filière caprine, ils constituent un « maillon relativement opaque » de la production11. Seule certitude : les chevreaux y passent leur courte vie enfermés en bâtiment, dans des enclos de 50 à 250 individus. Au lieu de téter le lait de leur mère, ils sont nourris avec de la poudre de lait diluée dans de l’eau, distribuée par une machine équipée de tétines en caoutchouc12.

15 % des chevreaux meurent avant l’âge d’abattage

Lors des 48 heures qui suivent la naissance, le taux de mortalité des chevreaux (souvent dû à des problèmes digestifs) varie de 2 à 12 % selon l’élevage13. Lors de la phase d’engraissement, la mortalité des chevreaux est en moyenne de 9 %. Elle varie de 2 % à 25 % selon les centres. Ils succomberaient souvent suite à des problèmes pulmonaires liés à la mauvaise qualité de l’air en bâtiment14.

Chaque année, ce sont donc environ 15 % des chevreaux qui meurent ainsi avant même d’avoir atteint l’âge d’abattage, et partent à l’équarrissage15. La filière caprine attribue cette mortalité précoce à la grande taille des ateliers d’engraissement qui regroupent des animaux issus de plusieurs élevages, au manque d’intérêt des éleveurs pour ces chevreaux à faible valeur économique, ainsi qu’à leur transport sur de longues distances16

Produire du lait sans tuer de chevreaux ?

Pour ne plus avoir à envoyer de chevreaux à l’abattoir chaque année, certains éleveurs choisissent de faire durer la toute première lactation, sans déclencher de nouvelle mise bas. Au-delà de 480 jours sans mise bas, cela s’appelle une lactation longue17. Certains éleveurs traient ainsi leurs chèvres en continu durant des années, jusqu’à 12 ans selon les témoignages18. Un seul petit naît : celui qui a déclenché la première lactation. 

Pourquoi ne pas utiliser cette solution dans tous les élevages et ainsi épargner des centaines de milliers de chevreaux chaque année ? En réalité, un tiers des élevages pratique déjà la lactation longue sur une partie de leur troupeau. Sa durée moyenne est plus proche des 700 jours19, et la raison est plus économique qu’éthique. Rallonger la période de lactation permet en effet de produire du lait toute l’année, d’exploiter des chèvres qui ont des problèmes de fertilité, mais aussi d’éviter les contraintes d’une mise bas : frais vétérinaires, risques pour la mère, temps de surveillance accru, etc20

Dans les faits, seules les chèvres les plus productives sont mises en lactation longue. Lactation longue ou pas, il faut bien des chevreaux femelles pour renouveler le troupeau. Les professionnels préconisent un taux de renouvellement de 20 à 25 % du troupeau pour éviter son vieillissement et maintenir son « potentiel génétique »21. Autrement dit, les deux tiers des chèvres continuent, elles, de mettre des chevreaux au monde. S’ils naissent mâles, leur sort reste le même : engraissement et abattoir. Et si leur productivité baisse, les chèvres en lactation longue sont envoyées à l’abattoir comme les autres. 

Sources
  1. France Agrimer, 2023. Lait de chèvre, fiche filière, janvier 2023.
  2. CGAAER, 2021. Mission d’appui à la filière viande de chevreau, rapport n° 21026, 52 p. (p. 14). 
  3.  Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2019. « Le bien-être et la protection des chèvres », agriculture.gouv.fr, article du 28 février 2019.