L’éleveur Philippe Grégoire commente la nouvelle enquête de L214 mettant en évidence le péril de notre agriculture
En réponse à la journée d’action à l’appel de la FNSEA, L214 publie, avec le soutien de l’éleveur Philippe Grégoire, une enquête dans un élevage intensif de poulets à Guémené-Penfao (Loire-Atlantique).
23 500 animaux sont enfermés entre les 4 murs de ce bâtiment de 1 500 m². Ces poulets consomment un aliment composé de soja OGM importé et supplémenté avec des antibiotiques, livré par tonnes à l’élevage.
Les poulets malades agonisent de longues heures, puis meurent parmi les vivants. Passés 35 jours d’engraissement, les poulets sont ramassés à la Chicken Cat, une machine agricole qui propulse les animaux dans des cages minuscules, direction l’abattoir.
Défendu par la FNSEA, ce modèle d’élevage a des conséquences désastreuses sur les agriculteurs, l’environnement et les animaux.
Philippe Grégoire, éleveur de bovins installé en Maine-et-Loire et fondateur du Samu social agricole s’exprime en parallèle de la journée d’action de la FNSEA : « C’est l’échec du modèle agricole développé à partir des années 1960. Les responsables politiques qu’on a eus au pouvoir depuis les années 1960 sont responsables de ça, puis ils se sont mis en cogestion avec le syndicat FNSEA. L’agriculteur est victime de ce modèle, qui n’est pas un modèle vertueux. On a industrialisé l’agriculture et c’est au détriment des paysans et des consommateurs. On retrouve 2 perdants. […] Et entre les 2, il s’est formé un énorme business. Donc, maintenant, il faut revoir le modèle agricole pour bifurquer et arrêter les élevages comme ça. »
Ressources libres de droits
- Vidéo de l’enquête sur YouTube et sur Vimeo (téléchargeable)
- Séquences brutes (téléchargeables)
- En savoir plus sur la FNSEA
- Galerie photos (libres de droits)
Incohérence numéro 1 : produire plus en construisant de nouveaux élevages intensifs facilités par la loi Duplomb
Les filières animales françaises veulent créer plus d’élevages : plus de 400 nouveaux élevages de poulets, dindes et pintades d’ici 5 ans, et 300 nouveaux élevages de poules pondeuses.
Avec la loi Duplomb, les règles encadrant les élevages intensifs vont s’assouplir : les seuils d’effectifs à partir desquels un élevage doit faire l’objet d’une étude d’impact et d’une autorisation environnementale passent par exemple de 40 000 à 85 000 pour les poulets.
Le CESE (Conseil économique social et environnemental) alerte des conséquences sur les éleveurs des transformations du travail générées par l’intensification, provoquant généralement une « dégradation de leurs conditions de travail, de rémunération et de vie » et engendrant « une perte de sens et d’intérêt dans leur travail ». Placés sous contrat d’intégration, les éleveurs n’ont pas la maîtrise des conditions d’élevage, du choix des souches animales ni de l’alimentation. Ces contrats les obligent à investir lourdement, les plongeant dans un endettement massif qui les empêche ensuite de sortir de ce système. En revanche, ils assument bien souvent les risques financiers en cas de manque à gagner…
Incohérence numéro 2 : « Tous ces produits qui entrent sur notre territoire […] sont dangereux pour la santé […] » selon Arnaud Rousseau
Les poulets de l’élevage de Guémené-Penfao reçoivent des antibiotiques intégrés à leur alimentation quotidienne. Elle est supplémentée par du narasin, un antibiotique contre le parasite Eimeria. En France, la plupart des poulets consomment du narasin avant même de tomber malades, puis pourront être commercialisés en viande sans antibiotique. En effet, ces composés sont classés comme antibiotiques aux États-Unis ou sur les listes de l’OMS, la Norvège a même décidé en 2015 de ne plus utiliser de narasin pour l’élevage des poulets, mais, en France, il est largement employé et est considéré comme un additif de l’alimentation animale…
Pour Philippe Grégoire, il est impossible d’élever des animaux avec une telle promiscuité sans recourir aux antibiotiques en préventif : « Aujourd’hui, sans antibiotiques en France, moi, je ne connais pas la formule dans les élevages tels qu’ils sont. C’est le grossissement des élevages qui a conduit à ça. C’est le concept du modèle de ces élevages. »
Incohérence numéro 3 : « Plus de 1 poulet sur 2 consommés en France est importé », dénonce Arnaud Rousseau, mais…
Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et président du groupe agro-industriel Avril, est particulièrement hostile à l’accord de libre-échange entre des pays latino-américains du Mercosur et l’Union européenne. Il donne en exemple la France, qui importe 55 % des poulets qu’elle consomme, mais sans préciser qu’elle exporte 30 % de ses poulets élevés en élevage intensif, modèle agricole dont la FNSEA fait la promotion.
Philippe Grégoire explique que la souveraineté alimentaire doit aussi passer par la souveraineté alimentaire des autres pays : « On a voulu aller sur les marchés à l’exportation et aller piquer des marchés à des gens qui, normalement, auraient dû se développer dans leur pays, avoir leur propre autonomie, leur propre souveraineté. Donc on a été sur les continents africains, on a été partout, pour prendre des parts de marché. Aujourd’hui, le groupe LDC, c’est quand même le leader européen, c’est pas rien. Donc leader européen, il est implanté en Pologne, il est implanté partout. Eh bien on est victimes de ce qu’on a provoqué. En fait, ce qui a détruit l’agriculture, et les consommateurs sont en train de prendre conscience qu’on a été beaucoup trop loin dans l’intensification des modèles agricoles… »
Incohérence numéro 4 : du soja OGM d’Amérique latine pour nourrir les animaux d’élevage
Comme la plupart des animaux d’élevages intensifs français, les poulets de cette enquête sont nourris avec un aliment composé de tourteau de soja génétiquement modifié. La culture de soja OGM est interdite en France et en Europe depuis 2008, cette production est donc importée. Elle occasionne une importante déforestation. La France y participe massivement en important chaque année 3,6 millions de tonnes de tourteaux de soja, dont plus de 60 % proviennent d’Amérique du Sud, pour approvisionner ses élevages. La filière poulet est la première filière animale consommatrice de soja (37 % de la production mondiale), suivie de la filière porcine (20,2 %).
Philippe Grégoire précise : « C’est souvent Brésil et États-Unis. C’est de là que vient le soja OGM. C’est des businessmen, c’est 7 milliards d’euros le budget de l’industrie de l’aliment en France, c’est un poids lourd avec le groupe Avril […], il faut qu’ils optimisent, ils sont dans le monde de la finance […], ils font des programmes [ndlr : d’alimentation] en fonction des cours [ndlr : de la bourse]. »
Deux pistes concrètes pour favoriser la souveraineté alimentaire
- La mise en place de mesures miroirs : imposer l’application des normes européennes d’élevage aux produits accédant au marché européen, pour mettre les producteurs sur un pied d’égalité et garantir la viabilité économique de réformes ambitieuses des conditions d’élevage.
- Réduire de moitié le nombre d’animaux tués pour la consommation française d’ici 2030 permettra d’agir sur cette double dépendance aux importations de viande et d’alimentation animale, et permettra une souveraineté alimentaire vertueuse. La France est l’un des pays où l’on consomme le plus de viande, près du double de la moyenne mondiale. L214 propose 20 mesures qui peuvent être mises en œuvre dès à présent. Ces mesures concrètes visent une évolution des modes de production, du paysage alimentaire et du récit sur l’alimentation.
→ Le rapport Le sauvetage du siècle de L214